Un Jardin Exotique en Principauté : histoire de la création d’un site d’exception sous le règne du Prince Albert Ier
#66 - janvier-février 2021 - Patrimoine

Un Jardin Exotique en Principauté : histoire de la création d’un site d’exception sous le règne du Prince Albert Ier

Suspendu à flanc de rocher, un lieu enchanteur marque l’entrée de la Principauté et accueille ses visiteurs depuis le siècle dernier. Le Jardin Exotique de Monaco est né du désir du Prince Albert Ier, âme savante et botaniste, de doter le pays d’un lieu consacré aux « plantes grasses », à leur préservation et à leur découverte… 

D’un Rocher à l’autre

Lorsque la Principauté accueille les premiers voyageurs de l’époque moderne, Monaco est perçue comme les « Jardins des Hespérides » où ses quartiers historiques comme le Rocher sont jalonnés par des espèces rares et variées aux essences enivrantes (1). Parmi eux, Jean-

Baptiste Lamarck, qui deviendra l’un des plus grands botanistes de son siècle, connaît son « éveil botanique » alors qu’il se trouve en garnison à Monaco. Lors de son séjour, il est marqué par « la végétation singulière de cette contrée rocailleuse »(2).  Louis Notari dans A Legenda de Santa Devota, évoque l’attrait du botaniste pour ces espèces inédites, notamment les figuiers de Barbarie, importés jadis d’Afrique par le sous-chapelain du Palais Princier (3 et 4).

Autour de ce bel héritage botanique, l’histoire du Jardin Exotique ne débute véritablement qu’en 1895 lorsque le jardinier en chef des jardins Saint-Martin, Augustin Gastaud, pare la promenade jalonnant le Rocher vers le futur Musée Océanographique, de ses plus belles collections de cactées venues du Mexique. Ces plantes succulentes deviennent l’objet de fascination du Prince Albert Ier et très vite germe l’idée d’un jardin entièrement dédié aux « plantes grasses » afin de valoriser, partager et préserver ce beau patrimoine. 

En 1910, le terrain de l’Observatoire, surplombant le quartier des Révoires est acquis. Des astres captivants aux merveilles terrestres, c’est l’ingénieur des travaux publics Louis Notari qui est chargé des travaux d’aménagement de ce terrain, autrefois consacré à l’observation des étoiles et qui désormais forme « le cadre le plus approprié au jardin projeté » (5). 

Un chantier périlleux… et fait d’une étonnante découverte ! 

Les premières pioches frappent la roche dès 1913, et pendant plus de 20 ans, les équipes de travaux se succèdent sur ce terrain escarpé et dangereux, à flanc de falaise, après une brève interruption suite à une trouvaille des plus surprenantes. En 1916, des ossements fossiles au sein d’une grotte sont découverts. Le Prince Albert Ier ordonne des fouilles qui dureront près de quatre ans et qui sont alors confiées au Chanoine Léonce de Villeneuve, premier directeur du Musée d’Anthropologie Préhistorique de Monaco. Les vestiges archéologiques sont spectaculaires et mettent en lumière la fabuleuse occupation de l’Homo Erectus, de l’Homme de Néandertal et de l’Homo Sapiens (6). 

Après l’étape de déconstruction de l’Observatoire, les équipes de Louis Notari dessinent des allées, créent des passerelles, installent des rochers artificiels et naturels. Pour accueillir les végétaux, des tonnes de terre, sable et graviers spécialement adaptés à leur croissance y sont déversées. La dernière étape vient achever la complexité de cet ouvrage hors norme : « la tâche la plus délicate restait à entreprendre : déplacer sans les abîmer, depuis le Rocher, les fragiles et menaçantes plantes d’Augustin Gastaud dont certaines avaient déjà atteint des tailles imposantes » (7). Pour le transfert des belles succulentes, des « emballages » spéciaux sont confectionnés par les équipes de Louis Notari. 

Le 15 janvier 1930, le lieu est attribué au Domaine Public de la Commune par Ordonnance Souveraine et ouvre ses portes au public en 1931. Après son inauguration officielle le 13 février 1933 par le Prince Louis II, Louis Vatrican devient le premier directeur du Jardin deux ans après. 

Les travaux, eux, se poursuivent jusqu’en 1938-39. 

Quelques années plus tard, la Grotte de l’Observatoire ouvre au public (1950) et sera rattachée en 1962 au Jardin Exotique de Monaco. La vocation scientifique du lieu sera confirmée par la création du Centre Botanique à la fin des années 1950, entièrement rénové en 2017. 

Depuis, les visiteurs sont émerveillés par la beauté luxuriante des espèces, pour certaines centenaires, de ce fabuleux jardin suspendu entre ciel et mer. Plus qu’un lieu singulier, il semble être aussi une éternelle source d’inspiration pour de nombreux artistes et porter, comme le soulignait Louis Notari, l’ineffable souvenir de la naissance d’un « génie botanique » en Principauté : « l’existence du Jardin Exotique dans notre Pays devait paraître tout à fait souhaitable depuis que les cactées de Monaco avaient révélé à Lamarck le mystère du transformisme » (8)

Une histoire de nom… 

Le saviez-vous ? Le Jardin Exotique de Monaco a eu plusieurs baptêmes ! Les différents numéros du Journal de Monaco de l’époque retracent les étapes successives de ses diverses appellations. D’abord « Jardins Suspendus de l’Observatoire » en 1925, il devient ensuite « Jardins exotiques de l’Observatoire » l’année suivante pour devenir « Jardins de l’Observatoire » en 1928, puis redevient « Jardins exotiques » à partir de 1929. À proximité de l’entrée, on peut y retrouver la plaque d’origine « Jardins Exotiques » au pluriel qui fut retenue. Ce n’est qu’au début des années 40 qu’il prendra son appellation définitive et au singulier ! 

Même dilemme pour le boulevard qui porte aujourd’hui son nom. L’ancien « boulevard de l’Observatoire » devient « avenue des jardins exotiques » en 1938, puis « boulevard des jardins exotiques » l’année suivante. Armand Lunel, écrivain et professeur de philosophie au Lycée Albert Ier depuis 1920 proposera de rendre hommage au scientifique Lamarck en donnant son nom au boulevard mais l’idée ne sera pas retenue ! En revanche, sur proposition de Louis Notari, alors Adjoint au Maire, le Conseil Communal délibère et le 27 novembre 1950, le square du boulevard prend « le nom de ce grand ami de la nature, du savant et philosophe Lamarck » (9). 

Le Prince Souverain Albert II a souhaité célébrer les 100 ans de la disparition de son trisaïeul. Pour ce faire il a nommé le Comité de commémoration Albert Ier - 2022. La Médiathèque fait partie du comité exécutif chargé de coordonner les célébrations.   

Le magazine Monaco Vivre Ma Ville mettra particulièrement en valeur jusqu’en 2022 l’œuvre du Prince Albert Ier à travers les fondations municipales qu’il a ordonnées ou soutenues sous son règne.

Références bibliographiques

Un Jardin extraordinaire (2018), Mairie de Monaco, 

Jean-Baptiste Lamarck et Monaco : Entre histoire et mémoire. (2011),BON D.

Bulletin du Musée d’Anthropologie Préhistorique de Monaco.

Sources 

(1) Fouilleron T. (2010), Une frontière vécue. L’identité monégasque vue par les voyageurs à l’époque moderne. Histoires 

d’une Frontière. 150e anniversaire de l’annexion du Comté de Nice à la France. 

Actes du colloque de Puget-Théniers 9-11 octobre 2009. Roudoule, Puget-Rostang, AMONT, Saint-Martin-Vésubie, pp. 60-70. 

(2) CUVIER G. (1835) – Éloge de M. de Lamarck par M. le baron Cuvier. Mémoires de l’Académie des sciences de l’Institut 

de France, nouvelle série, t. 13, pp. I-XXXI.

(3) NOTARI L. (1927) – A legenda de Santa Devota, Edité par le Comité des Traditions Locales, Imprimerie de Monaco, 264 p.

(4) Bosio Louis-Vincent, « Figues de Barbarie », Notices sur Monaco, dédiées à Leurs Altesses Sérénissimes, Livre 3e, manuscrit,

Médiathèque de Monaco – Fonds régional. 

(5) NOTARI L. (1938) – Note sur la création du Jardin Exotique de Monaco. Monaco-cactus, 1, pp. 4-5.

(6) Un Jardin extraordinaire (2018), Mairie de Monaco, 

(7) SOLICHON J.-M. (2008) – 75e anniversaire. Jardin exotique de Monaco 1933>2008.Monaco : Jardin exotique ; Mairie. 64 p.

(8) NOTARI L. (1938) – Note sur la création du Jardin Exotique de Monaco. 

Monaco-cactus, 1, pp. 4-5.

(9) Archives communales de Monaco. 

Extrait des délibérations. 27 novembre 1950. Le Patriote de Nice et du Sud-Est du mardi 5 décembre 1950 fait un compte rendu du Conseil Communal, rappelant que la dénomination du square Lamarck est une réponse aux voeux de plusieurs personnalités qui demandèrent, après la démolition de l’Observatoire, que l’actuel boulevard du Jardin Exotique fût baptisé du nom de Lamarck.

Autres articles "Patrimoine"