Un témoignage patrimonial d’un grand moment d’histoire
Les murs tapissés de la Salle du Conseil de la Mairie de Monaco sont ornés de neuf bannières représentant les armoiries des Grimaldi… Témoignage de la tradition héraldique qui puise son origine au Moyen-Âge, elles commémorent pourtant un évènement plus récent, dont le souvenir semble alors s’animer au cœur du bâtiment communal…
Nous sommes en mars 1914, et dans la presse locale et régionale, l’évènement marquant du printemps suscite toutes les attentions : les Fêtes Jubilaires à l’occasion du 25e anniversaire de l’Avènement au trône du Prince Albert Ier se préparent en Principauté.
Les origines des 9 bannières : les 25 ans de règne du Prince Albert Ier
Sur trois jours, du samedi 11 au lundi 13 avril 1914, le programme s’annonce prestigieux autour d’une soirée de gala à l’Opéra, bals populaires sur le Port, illuminations, feux d’artifice et d’un fabuleux cortège historique.
Les festivités du samedi débutent l’après-midi par des visites protocolaires, puis à 20h, Monaco-Ville s’illumine et « chaque habitant [aligne] sur le bord extérieur de l’appui de sa croisée, une rangée de lampions multicolores ». Une sérénade sur la Place du Palais par les sociétés musicales suivie d’une retraite aux flambeaux lance alors officiellement les Fêtes Jubilaires.
Le dimanche est principalement consacré à l’hommage national avec l’inauguration, boulevard de la Condamine (actuel boulevard Albert Ier), du monument commémoratif offert par les Monégasques au Prince Albert Ier.
Les délégations françaises et italiennes sont reçues au Palais Princier par le Prince Souverain. Le soir, des festivités sont données au Théâtre de Monte-Carlo.
Le lundi, les Fêtes vont prendre de l’ampleur. Ce troisième jour est particulièrement marqué par de nombreux témoignages internationaux des représentants du Corps consulaire de la Principauté mais également par son impressionnant cortège historique. À 10h, sur la Place du Palais, « la Science découvrant les richesses de l’Océan », monument du sculpteur Constant Roux, offert au Prince Albert Ier par les colonies étrangères, est inauguré. Après la célébration du Te Deum en la Cathédrale de Monaco par Monseigneur Guyotte, vicaire général sous la présidence de Monseigneur Jean-Charles Arnal du Curel, évêque de Monaco, un déjeuner au Palais Princier réunit autour du Prince de nombreux « diplomates, membres de la Maison Civile et de la Maison militaire, officiers de marine, artistes, savants et amis personnels, allemands, britanniques, français et italiens ».
L’entrée en scène des bannières :« Monaco au Moyen-Âge »
À 14h30, un grand cortège historique « Monaco au Moyen-Âge » lance les festivités de l’après-midi. Le spectacle est fascinant, à l’image de la large publicité dont il a bénéficié quelques semaines auparavant et qui attire ce jour-là en Principauté une foule de curieux venus nombreux, alléchés par la superbe affiche du célèbre illustrateur français Jules Alexandre Grün, tandis que les plus privilégiés et hôtes d’honneur peuvent y assister depuis les tribunes spécialement dressées pour l’occasion sur la Place du Palais. Le spectacle imaginé par le talentueux Raoul Gunsbourg est sublimé par les décors, chars, costumes et décoration d’Alphonse Visconti.
« Le son du fifre se fait entendre » et annonce alors le défilé qui « ne comporte pas moins d’un millier de figurants, dont plus d’une centaine de cavaliers ».
Au milieu du cortège, « un char magnifique où sont placées toutes les armures des Grimaldi » annonce « des cavaliers portant des étendards magnifiques où sont brodées les armes de tous les seigneurs qui habitèrent la Principauté ». Les neuf bannières, spécialement créées pour l’occasion par le célèbre décorateur de l’Opéra de Monte-Carlo, Alphonse Visconti, font leur entrée en scène trônant au-dessus des chevaliers en costume d’époque. Leurs motifs sont « empruntés à l’ouvrage de Charles de Venasque Ferriol, représentant les armoiries des différentes branches de la famille des Grimaldi ainsi que de familles apparentées ». Le cortège arrive sur la Place du Palais et des animations créent un spectacle à ciel ouvert. « La Lyre monégasque* et la Philharmonique*, tour à tour, se font entendre », puis « commence le Divertissement-Tarentelle, dansé par les dames du corps de ballet ». Les belles ballerines cèdent place aux chevaliers pour le tournoi lors duquel « les chevaliers rompent des lances pour la plus grande joie des spectateurs qui applaudissent ». Les étendards des armoiries, majestueux, trônent toujours parmi la foule offrant un décor coloré et typique à ces combats médiévaux, puis une sonnerie retentit. Le défilé se reforme, et les chevaliers, portant ces neuf bannières descendent l’avenue de la Porte-Neuve pour rejoindre « l’avenue de Monte-Carlo (actuelle avenue d’Ostende), le square Beaumarchais, le boulevard des Moulins et la place de la Madone ». À la nuit tombée, une fête vénitienne prend place dans le Port et un feu d’artifice est tiré depuis le Fort Antoine : « Une pluie d’or, une myriade de paillettes multicolores, un bouquet d’étoiles, des serpents siffleurs, une colossale gerbe de lumières ! Les motifs furent admirés, d’un dessin net et de bon goût, où les lettres Albert Ier se détachèrent nettes et claires ».
Aujourd’hui encore, certains témoignages de ces inoubliables Fêtes du Jubilé ont perduré à travers les années comme le livre d’or des souscripteurs et sa somptueuse décoration, imaginée par Tony Szirmaï et conservé au Palais, le monument de « l’Océanographie » qui se dresse toujours aux abords de la Place du Palais ou encore ces neuf bannières que l’on peut toujours admirer dans la Salle du Conseil de la Mairie. Les bannières sont l’un des derniers objets souvenir de « Monaco au Moyen-Âge » et de ces trois jours de fêtes mémorables, dont l’ambiance unique et l’insouciance ont souvent été contées dans les familles monégasques par ceux qui les ont vécues. Un souvenir de joie et de fête, d’autant plus « choyé » que quelques semaines après, « le monde allait s’abîmer dans le chaos et l’horreur » avec la Première Guerre Mondiale, et sonner définitivement le glas de la Belle Epoque
* La Lyre Monégasque et la Société Philharmonique sont des sociétés musicales monégasques
(Alfred Argaing, dirige la société philarmonique à partir de 1913 et deviendra le premier chef d’orchestre de la Musique municipale)
Références bibliographiques
Fêtes pour les 25 ans de Règne de S.A.S. le Prince Albert Ier de Monaco, Jacqueline Carpine-Lancre et Christian Burle, 2000 Revue de la Riviera illustrée. Le Petit Monégasque. Rives d’azur.
Journal de Monaco